phoenix, arizona — thème city-gang sombre, flicaille, bikers. époque actuelle // réservé à un public mature et averti-18
wall of glory
hides the face, lies the snake;
terre suinte vermillonne, tapagée par les heurts de mille feux; poussière précieuse, que convoitent ainsi les bannières dissidentes. car meutes jacassent ainsi, comme chasse à courre. couchés sur montures rutilantes, reîtres arborent le cuir cousu au battant. ils gerbent l'ivre violence en marasme chantant comme saints paillards. et sur plèbe ployée, manigances ouvrent jugulaires en traînées caillées. car v'là que rouges cabales déparent l'humanité en mascarade affligeante; dans l'antre de l'oiseau aux ailes-flammes, cabots font montre de sales babines devant cavalerie, ces nobles barbares polissant l'écusson. mais ô belle ironie, à jeter ainsi soldats cannibales dans l'antre déjà ravagé!
get as rude as possible and don't let anyone tell you how to live.
« What the hell are you doing here ? », la surprise déforme les traits froids de la flicaille du sidh, myocarde s’emballe brusquement à la vue de Sofélia. « Get away from him right now », langue claque contre palais, l’ordre est donné, clair, non négociable. Regard se fait sévère, tient toujours en joue le toxico, fait un signe du menton à l’un de ses gars pour prendre le relais tandis qu’il s’approche de la jeune femme en baissant son arme. Il porte ses bouchons d’oreilles pour s’isoler du bruit au maximum. Le moindre coup de feu peut partir et il n’a aucune foutue envie de se retrouver privé de ses moyens à cause d’une panique qui le prendra droit à la gorge. Il connaît la chanson par cœur maintenant. L’a jouée trop de fois. Avec toutes les fausses notes possibles et imaginables. « I'm gonna ask you to leave for the moment », encore une fois dit sur un ton qui n’admet aucune réplique et pourtant, l’œil sombre brille d’une lueur étrange ; d’un espoir futile qu’elle ne se mette pas en travers de son chemin.
this is why i don't want to see anyone after one night, to avoid this kind of embarrassing situation.
Remontons quelques heures en arrière. La veille, d’ailleurs. Un soir comme les autres, des verres à moitié plein et au matin, le lit à moitié vide. Une aventure comme une autre, un partage entre les draps mais sans mot d’amour ; il n’y a pas de place à ça dans sa conception des choses. Un respect, une révérence, une passion mutuelle mais pas d’amour. Ne veut pas s’attacher, n’a pas envie qu’on s’attache ; jamais été particulièrement prêt à vivre à deux. Peur de perdre cette personne bêtement, à cause de son boulot ou de ses petits extras. Les rires de la veille ont laissé place au silence paisible. Seuls ses chats le brisent en réclamant pitance en miaulant comme s’ils jeûnaient depuis trois semaines l’ont fait sortir du lit ce matin-là, ces affamés. Il se sait lève-tôt, elle l’est encore plus. Agréable surprise d’être seul avec simplement le souvenir doux d’une peau contre une autre, d’une chaleur partagée, de souffles croisés. Amusé de voir finalement qu’il n’est pas le seul à filer à l’anglaise.
a charming woman is sitting quietly at the bar and he simply approaches her, smiling, to offer her a drink. they joke and chat, the drinks pile up and he suggests that she goes at his place ; he refuses to let her go home in this state. and desire set in.
Un simple son le tire de ses pensées, un simple sms, très bref mais clair. « we found him. », parfait ; tout ce qu’il fallait pour lui sortir cette soirée de l’esprit. Un toxicomane qui a volé un sac d’un des collègues de Llywelyn avec un ordinateur dedans et une clé usb importante ; une situation classique même si le sous-commandant n’a aucune envie que des dossiers sensibles se baladent dans la nature. Il n’a même pas pris la peine de prévenir sa collègue de terrain, il n’en fait qu’à sa tête et règle le souci à sa manière. Rapidement, discrètement, sans en parler, pour étouffer l’affaire dans l’œuf le plus rapidement possible. Il a réuni une petite équipe, dont celui qui s’est fait voler ; pas trop d’hommes, seulement quatre avec lui-même. Jamais trop prudent.
Alors sur les lieux, quand ils sont entrés dans le petit appartement et qu’ils se sont retrouvés avec le toxicomane et Sofélia dans la même pièce, Llywelyn s’est fait violence pour ne pas mettre un terme trop rapidement à cette mascarade. Et revoilà l’instant présent ; nulle trace de la veille, seulement un froid implacable et une attitude qui repousserait n’importe qui. À la place, il se tourne vers ses deux autres gars qui sont restés immobiles. « Alright guys, find me that computer and let's get this over with », et reporte son attention sur Sofélia, se mettant volontairement dans la trajectoire du toxico et la jeune femme ; au cas où. Si elle a un aperçu direct de sa besogne, ce n’est pas encore réciproque et mille idées fourmillent dans son esprit ; toutes pires les unes que les autres. « Are you going to cooperate or do I have to force you out ? »
"l'océan qui emporte,
l'océan qui déborde,
à l'intérieur"
saisons : [trente] pétales effondrés au sol, perdus à jamais, l'absence totale d'intérêt, mais jamais ne revinrent les jours de la plus précieuse insouciance, ceux dont on sait qu'ils continueront de passer par milliers.
myocarde : piétiné par les jolis mots et les douces paroles, lavé par cet espoir que tout change, et cet espoir rongé pour toujours, comme un vieil os offert à un chien. se complaît à remplir son lit, pour oublier le [vide] de sa poitrine.
besogne : vie dévouée à l'Autre, pour toujours, [assistante sociale] offerte corps et âme.
district : parce qu'elle crevait de son hypocrisie, déménagement dans le [south district] pour être plus proche des siens.
who do you think you are? collecting people like they're nothing, collecting bodies like you're a god
r u t h l e s s n e s s
C'était une plaisanterie, à n'en point douter, et elle s'y connaissait en blagues ; sa vie sentimentale en était une, perpétuelle et irrémédiable. C'était une plaisanterie de fort mauvais goût, elle n'envisageait pas autrement le fait de se retrouver face à celui qui avait tout occupé avec elle, de sa dernière soirée à la plus intime de ses pensées primaires. Elle l'avait croisé dans un bar, une énième soirée passée à les écumer dans l'espoir de croiser un regard, un geste, quoi que c'était, une petite flamme pour raviver un brasier qui fumait encore et elle était tombée sur lui. Séduite, sans l'ombre d'un doute, de l'étincelle dans son regard, quelque chose de beau, de fort, de terriblement dangereux . Il n'y avait plus rien d'autre qui la faisait vibrer, elle se savait un goût douteux pour les hommes mais elle vibrait à leur contact, comme si toute sa douceur s'envolait, pour ne plus laisser rien d'autre que ses propres instincts à satisfaire. Et elle s'amusait à cette idée, se demandant ce qui avait déclenché ça, des années auparavant, ce besoin de se noyer, et se rappelant un certain parfum et une veste en cuir, elle secouait ses idées pour penser à autre chose.
Ombre dans la nuit encore noire, elle s'était faufilée hors de la chambre qui avait abrité leur amour éphémère. Caressant l'un des félins venus se frotter à ses cheville, elle avait refermé sans bruit la porte derrière elle, avisant d'un regard la silhouette endormie, priant pour qu'il ne s'éveille pas. Elle avait brièvement lutté contre l'envie de le réveiller à sa manière, pour qu'il garde un excellent souvenir d'elle, mais elle aurait alors eu la lourde tâche de devoir "discuter" avec lui et s'il y avait bien une chose qu'elle refusait, c'était les pathétiques balivernes réservées au petit matin. non, tu ne me rappelleras pas, tu ne sais d'ailleurs plus comment je m'appelle. oui, je vais retrouver la sortie et non, je n'ai pas besoin que tu me ramènes.
Elle était repassée par chez elle se doucher pour effacer les derniers miasmes de ses doigts sur sa peau et s'était habillée ; en une demi-heure à peine, il était sorti de sa tête, de sa mémoire et de ses pensées. Il s'y réinstalla paisiblement quelques heures plus tard. Gregorio était un de ces dossiers dont elle ne parvenait plus à se défaire, tant il était en détresse et attachant - attachiant, comme on disait parfois au bureau. Et ce n'était même pas insultant, c'était parfaitement vrai. Ces gamins perdus qui trouvaient la drogue comme solution au vide qui se déployait en eux depuis des années, et qui finalement, rejetaient aux orties tout ce qui aurait pu les aider à s'en sortir, elle y compris. Terriblement ambivalents, il la rejetait autant qu'il réclamait son aide, il l'aimait autant qu'il la haïssait et elle le lui rendait bien. Elle n'hésitait pas à lui dire quand il merdait, elle anticipait toutes ses démarches administratives et au fond, ils s'aimaient infiniment, l'un l'autre. Aussi, elle n'avait pas été surprise de recevoir un sms de sa part le matin même, alors que ses cheveux ruisselaient encore de la douche salvatrice.
"screwed up need u"
Empochant ses clés, elle dévala la rue jusqu'au squat dégueulasse dans lequel elle lui avait trouvé une place, en attendant de lui débloquer une chambre en foyer relai. C'était tout ce qu'elle avait pu faire et une fois encore, elle s'était retenue à grand peine de lui proposer son canapé. Elle était comme ça, légèrement dérangée, parfois. Elle ne pris pas même la peine de toquer et rentra, connaissant les lieux mieux que de raison, saluant ceux qui stagnaient dans des canapés et autres matelas improvisés ; elle ne craignait rien ici, Sofélia, elle représentait l'espoir pour certains, et une tasse de café au centre social au besoin, pour d'autres, elle était de leur côté. Elle le trouva dans leur cuisine dégueulasse et demanda sans introduction « So... What did you do ? » La réponse ne se fit pas attendre et tant ses mots que ses gestes le trahirent; plein de tic, les dents grinçant, le front pale et luisant, il était en manque, et dans un stade avancé. "you know I try to quit. i..." Elle s'installa à sa table et, sans sourire, attendit la suite. "I have debts and.. can't get clean if i didn't pay my debts, right?" Acquiesçant de la tête, elle l'encouragea à continuer. "stole something i shouldn't have.." Ca devenait intéressant et déjà se dénouait sous son crâne le fil des choses à faire ; identifier le propriétaire, le ramener, s'excuser, expliquer, encore, et encore. "a computer. a cop computer."
Inspiration. Expiration. « .. You kidding me ? » Et les larmes vinrent, dans la cacophonie assourdissante de ce qui devait vociférer sous son crâne; la culpabilité, le manque à en crever, la peur qui fait tout flamber. Elle ferma les yeux une seconde et demanda « You know it's bad right ? If you need money Gregorio, you have to come to the social center, and you ask for it, and we'll try our best. Stealing? I thought that was behind you ?! » Elle ne criait pas, elle n'avait pas même élevé la voix, mais elle le connaissait, elle savait comment fonctionnait son esprit et il n'avait besoin que de règles précises, basées sur l'expérience. Elle savait que tout cela pourrait se régler très vite. « Ok. I'm gonna say I found it this squat so you're gonna go away for a day or two, ok ?.. » La phrase tout juste prononcée et elle entend des voix à la porte, et des pas qui s'enfuient dans les étages - les flics. « Fuck. » Ils entrèrent bien rapidement et l'évaluation de la situation ne fut pas difficile; ils étaient assis à côté d'un sac qui renfermait très probablement l'objet du larcin. Tournant ses yeux vers le chef de la petite équipe d'hommes, elle sentit sa nuque se couvrir de chair de poule. Il n'avait plus manqué que lui, n'est-ce pas? Elle ne répondit pas à sa première demande, estomaquée de le voir ici, mais surtout, elle n'avait pas l'intention de laisser Gregorio en présence de quatre hommes, quatre cowboys qui posaient déjà leur regard condescendant sur l'endroit où survivaient ces jeunes patients.
« In case you didn't guess, I'm here to do my job, and it's not as easy as yours. » Elle jeta un coup d'œil vers l'arme qui avait ouvert un passage jusqu'à eux, et elle le jugea si fort pour ne pas comprendre qu'ils parlaient ici un autre langage, celui de la survie, de la rue, de la mort, et pas des armes et des gilets pare balles. « And put your weapon down, please, nothing will hurt you - except if you decide to fall down the stairs.. » Se tournant vers Gregorio, elle lui fit un signe de la tête pour le rassurer, et vit à son expression qu'il n'était pas loin de la crise d'angoisse, ou tout du moins de la fuite. Elle adressa un regard à leur vis-à-vis, tentant de juguler le chaos battant dans sa poitrine, espérant qu'il ne lui ferait pas de remarque quant à son départ impromptu du matin et demanda « What are you looking for? Gregorio and I will help you - if we can ! »
Ignorant le tintamarre sous son crâne, elle lui adressa un sourire, écoutant le bruissement de pas leur parvenant de l'étage - les collègues de Llywelyn partis à la recherche de ce qui se trouvait dans le sac sous la table.
get as rude as possible and don't let anyone tell you how to live.
C’était une soirée comme une autre ; on passe par la case « bar » après le boulot, boire un petit whisky, une bière avec les collègues, savoir lequel paiera et finalement se détacher du groupe pour chercher la compagnie un peu plus délicate et charmante que ces rustres avec qui il partage la plupart de ses journées. Il n’est plus sous-commandant, plus flic mais juste Llywelyn ; ou l’Irlandais au patronyme impossible. Un échange de sourires, quelques palabres bien choisies ; sûrement qu’elle est plus jeune que lui et qu’il le regrettera par la suite mais le courant est bien passé. Les soupirs se mêlant aux râles de plaisir dans l’intimité d’une chambre – tout ça envolé en fumée dans un battement de cil. Un souvenir qui ne restera que ça, un souvenir.
D’un mouvement sec du menton, le troisième homme resté rejoint leurs deux autres compères, maudissant le petit crétin du groupe pour avoir perdu ce foutu ordinateur. Une lourde sacoche avec des papiers aussi ; bref, un condensé de la vie de son collègue quelque part perdu dans ces lieux et le fait que la jeune femme ne compte pas coopérer n’arrange pas son humeur. Lentement, il souffle ; respire, bloque, expire. Cet exercice donné à plus d’une personne pour gérer un stress toujours plus présent et le premier à savoir qu’il ne peut rien faire tant qu’il n’est pas pleinement maître de ses moyens. Cependant, il fait preuve de bonne foi puisque l’autre manière ne fonctionne pas. Il aurait pu parler à un mur que ç’aurait été la même putain d’histoire. Il lève les mains en signe de paix ; range son arme de service dans l’étui contre sa jambe, observe tout autour de lui. Le visage de Gregorio, celui de Sofélia. Rien ne transpire la tranquillité par ici et si la jeune femme essaye de jouer le rôle de médiateur, Llywelyn n’est pas payé pour être un flic gentil.
C’est en retirant ses bouchons d’oreille qu’il réalise pleinement l’agitation autour d’eux ; ses gars interrogent les autres personnes sur les lieux, cherchent ce qu’ils sont venus récupérer. Cette fois, un soupir s’échappe des lèvres de Llyw. S’il doit jouer le connard pour retrouver un pauvre sac perdu avec une mine d’informations à l’intérieur, il jouera ce rôle sans sourciller. Les souvenirs restent à leur place et le cœur reste fermé ; le visage indifférent. Ses pupilles sombrent se posent sur le jeune homme, et il observe simplement. Il transpire, il veut quelque chose. En manque de quelque chose. La drogue le ravage, l’obsède, lui fait tourner la tête. La drogue rend malade, rend fou, rend dangereux. Elle créé des dettes, de la dépendance. Une substance merdique qui prône la faiblesse de l’esprit en lui faisant croire que ça lui fait du bien.
i do social work but, in the end, i'm just a nightmare for these people who just want help. i forget that it could have been me if i'd gone off the rails, if i'd followed the same path as my father.
Sa sœur aurait été bien plus diplomate. Why am I thinking about her now ? Une femme qui aurait fait preuve de beaucoup plus de tact et diplomatie que lui dans un tel moment où seule la collecte des informations intéresse Llywelyn. Son obsession encore et toujours, cette crainte qu’il a de voir les mauvaises personnes accéder à des dossiers sensibles. Que ce gamin pourrait se faire de l’or s’il osait revendre ces infos ; ou qu’il se ferait tuer pour les posséder parce que les faibles comme lui crèvent la faim au ventre et la solitude au-dessus d’eux comme une épée de Damoclès prête à s’abattre. « Boss, it’s not here. » Bien sûr que si, c’est ici. L’œil posé sur Sofélia, il penche légèrement la tête ; une question silencieuse plane entre eux.
are you fucking kidding me ?
« Oh yes, it is. », lentement, il fait quelques pas, donne l’impression de tourner autour de sa proie jusqu’à se placer derrière Sofélia sans lâcher le gamin des yeux. « We're looking for a bag containing the computer of one of my colleagues and the man who stole it matches Gregorio's description. » Il se penche vers la jeune femme. « And I'm sure you already know about this and you're trying to help this kid, but in everyone's interests, I'd better get that bag back as soon as possible. » C’est trop d’investissement pour un coup en douce qui ne sera mentionné nulle part et dont il ne parle pas ; ni lui, ni l’un des trois autres. Tout se sait à Phoenix, mais s’il peut passer quelques événements sous silence, il ne se prive absolument pas et voilà l’un de ses autres problèmes. Les cachotteries. Llywelyn est un expert là-dessus puisqu’il passe son temps à tisser sa propre vérité à partir de choses qu’il sait sans jamais trop en dire. Un jeu de funambule qui pourrait lui coûter très cher s’il loupe son prochain pas et bascule dans le vide. « You're too calm for someone who's dealing with this situation. I'm willing to believe that you're not someone who panics easily, but to suggest that you don't know anything is taking me for a fool. » L’Irlandais souffle ces mots à Sofélia uniquement.
"l'océan qui emporte,
l'océan qui déborde,
à l'intérieur"
saisons : [trente] pétales effondrés au sol, perdus à jamais, l'absence totale d'intérêt, mais jamais ne revinrent les jours de la plus précieuse insouciance, ceux dont on sait qu'ils continueront de passer par milliers.
myocarde : piétiné par les jolis mots et les douces paroles, lavé par cet espoir que tout change, et cet espoir rongé pour toujours, comme un vieil os offert à un chien. se complaît à remplir son lit, pour oublier le [vide] de sa poitrine.
besogne : vie dévouée à l'Autre, pour toujours, [assistante sociale] offerte corps et âme.
district : parce qu'elle crevait de son hypocrisie, déménagement dans le [south district] pour être plus proche des siens.
who do you think you are? collecting people like they're nothing, collecting bodies like you're a god
r u t h l e s s n e s s
Elle pouvait sentir émanant de lui quelques miasmes de la colère qu'il lui discernait sans qu'elle en connaisse trop la raison ; elle était dans son plein droit, oeuvrant dans ces quartiers comme lui le faisait, et son statut de flic ne lui permettait pas d'écraser ses propres fonctions, d'autant plus qu'elle pouvait l'aider. Elle tentait juste d'établir un plan pour lui remettre l'ordinateur sans que cela retombe sur Gregorio, et ce n'était pas une mince affaire. Vrombissant sous son crâne, les rouages de son esprit se mettaient en route, doucement, mais sûrement. Peut-être qu'en discutant aimablement, tout pourrait rentrer dans l'ordre et la petite erreur de son patient en resterait une; une simple et misérable erreur. Elle lui sourit d'un air encourageant lorsqu'il rangea son arme.
« Now, let's talk. What are you searching for ? »
Elle l'écoute, croisant les bras sur sa poitrine, se retenant de lever les yeux au ciel face à son arrogance; il était bien plus aisé de faire la forte gueule quand on portait une arme et qu'on était avec ses collègues, mais elle se rappelait que la veille au soir, elle avait plutôt eu le dessus et elle retint un sourire. Elle ignorait comment sortir Gregorio de sa triste affaire mais décida de jouer cartes sur table.
« Look, I can tell you where the computer is, but before that, and I won't be too long, you have to know that he doesn't have anything to do with it. Before you arrived, he was asking me to drive him to the police station for, you know, give back what he found here. »
Le regard jeté à Gregorio lui apprit qu'il approuvait son mensonge, mais le battement de son pied au sol, son regard baissé et sa façon de se gratter les bras; elle était bien plus inquiète concernant son état de santé que de la présence de la police ici. Mais elle connaissait la chanson, ils allaient lui passer les bracelets, et elle allait devoir s'occuper de chercher son mandataire judiciaire pour une caution exorbitante. On arrêtait plus facilement les pauvres camés contraints à voler que les connards qui tuaient des femmes dans ces quartiers et ça la rendait malade.
« Could we avoid all your handcuffs stuffs and I'll drive him to the station to testify ? »
L'étincelle au fond des yeux du flic ne la trompait pas, il ne le lâcherait pour rien au monde, c'était trop facile de s'en prendre à ceux qui avaient déjà une vie merdique et pour cela, elle l'exécrait, à ce moment-là. même si elle faisait tout pour ne pas repenser à la nuit dernière. Elle ne demandait pas la lune, et s'ils devaient le mettre en garde à vue ensuite, au moins aurait-il eu le temps de s'y préparer. Du bout du doigt, et pour montrer sa bonne foi elle désigna le sac renfermant l'ordinateur posé par terre, contre le pied de la table et, le regard fiché dans les yeux sombres du flic, attendit son verdict.
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Il sait pertinemment comment il est en intervention. Orgueilleux, arrogant, condescendant ; l’humanisme le quitte pour un monstre de froideur qui n’aime pas être contredit. Il cache ses faiblesses sous une couche de défauts et c’est presque à croire qu’il cherche à se faire détester finalement. De ses pairs comme du reste ; mais voilà, ça ne reste qu’une attitude. Ou plutôt, est-ce qu’il lui arrive d’être réel ? Sous cette couche de mensonges se tapit encore le petit garçon resté bloqué en 1991, l’année où son oncle lui a fait découvrir la programmation pour le maintenir éloigné de ses traumatismes. Un peu tôt pour initier un gamin à l’informatique et pourtant, ça a tout de suite captivé l’attention du jeunot. Qu’est-ce qui est réel chez lui ? Sa gentillesse ? Sa passion ? Son intérêt pour les autres ? Son avide curiosité ? Ou ce qu’il montre actuellement, ce gros con qui joue au coq parce que c’est dans cet univers qu’il a grandi ? Parce que le fort bouffe inévitablement le faible ? Parce qu’admettre ses faiblesses, c’est se faire écraser ?
Et elle. Elle. she drives him crazy.
Cette façon qu’elle a de ne pas lui répondre tout en ouvrant sa grande gueule pour établir un contact qui souhaite entrer en communication plutôt que d’obéir bêtement à un ordre donné par un flicard qui se prend pas pour de la merde. Tout son corps est crispé d’un agacement qu’il peine à cacher. Mais voilà, là aussi. Il faut respirer. Bloquer discrètement son souffle. Et expirer lentement, pour garder ce calme qui ne lui fait pourtant pas défaut d’habitude. Là, c’est différent. Ce chaos qu’il chérit est en train de lui retomber dessus parce qu’il est impliqué émotionnellement avec cette femme. Il faut qu’il retrouve son rythme paisible. Battre la mesure avec plus de tranquillité. Une mélodie qu’il se joue cent fois dans l’esprit, qui l’apaise. Breath. Just breath, Llywelyn.
When you feel anger building up, you stop and focus on one colour to name five objects around you. Le bleu. La tasse sur le rebord de l’évier. Le sac sous la table. Le pantalon de Gregorio. Son regard tourne dans la pièce, son attention se relâche légèrement. Le sticker sur le frigo, ou le magnet, peu importe. Le manche de la fourchette dans le bac à vaisselle.
La colère est un sentiment qu’il ne sait pas gérer, encore moins quand cela surgit sans prévenir, qu’il n’arrive pas à réprimer la vague qui monte et monte en manquant de le submerger. Cette colère brutale qui lui donne envie de faire payer à ses opposants l’affront qu’on lui fait. Il a saboté des opérations, détruit des vies comme ça, par haine et le philanthrope s’avère être un misanthrope dans ses pires moments. Ses épaules restent tendues, silencieux, jusqu’à finalement se baisser pour se saisir du sac, l’ouvrir d’un geste sec et un imperceptible changement se fait dans son expression. « We're not negotiating. » Il a pourtant ce qu’il veut, mais ce n’est pas assez. Il pourrait faire l’impasse sur cet incident et en réalité, il n’a aucune envie de ramener ce gamin et la jeune femme au poste de police ; ça serait avouer son incompétence à garder des fichiers sous bonne garde – puisque c’est lui qui prendra le blâme pour épargner la sanction à son collègue si jamais ça se sait. Autant il sait se montrer impitoyable, autant il est capable de solidarité avec les siens et les défendra s’il le faut. Il tend le sac vers le collègue qu’il a perdu, lui murmurant un « don't lose it this time » avant de reposer son attention sur Gregorio, et uniquement sur lui. « We can avoid all this bullshit if he admits what he did. That he's the thief. I want to hear him say it. » Juste pour quoi, prouver que la flicaille avait raison ? Humilier davantage ce pauvre gosse qui peut faire une crise à tout moment ? Mais il ne peut pas faire du cas par cas parce qu’il a couché une fois avec une personne ; tout ne se résout pas d’un sourire charmant et d’une courbette galante. Chacun doit faire son job, et celui de Llywelyn est parfois détestable mais ça n’a jamais été pour être aimé qu’il fait ce boulot.
"l'océan qui emporte,
l'océan qui déborde,
à l'intérieur"
saisons : [trente] pétales effondrés au sol, perdus à jamais, l'absence totale d'intérêt, mais jamais ne revinrent les jours de la plus précieuse insouciance, ceux dont on sait qu'ils continueront de passer par milliers.
myocarde : piétiné par les jolis mots et les douces paroles, lavé par cet espoir que tout change, et cet espoir rongé pour toujours, comme un vieil os offert à un chien. se complaît à remplir son lit, pour oublier le [vide] de sa poitrine.
besogne : vie dévouée à l'Autre, pour toujours, [assistante sociale] offerte corps et âme.
district : parce qu'elle crevait de son hypocrisie, déménagement dans le [south district] pour être plus proche des siens.
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Il y avait tant de choses qui se jouaient à présent, dans ce squat délabré du fin fond des quartiers sud. C'était le jeu morbides entre la vie et la mort, ce fil de funambule sur lequel ils évoluaient tous deux et qui menaçait à tout moment des les jeter à terre; l'un ou l'autre, ou peut-être les deux. Lui, menaçant, étranger à cet univers, à ces rues, à ce qui suintait sur les trottoir, venu écraser sa supériorité sur la gueule de ceux qui osaient lever le regard vers lui, vers la lumière; elle, souriante et enjouée, qui se débattant dans l'air presque caoutchouteux de ces recoins meurtriers, de ces silences où rendaient l'âme enfants malnutris, junkies cachectiques et femmes battues. C'était la bataille de la pauvreté face à l'abandon, de ceux qui détournaient le regard contre qui osaient les forcer à regarder. Se battre contre qui rechigne à voir.
Fier, debout dans ses rangers, fort de sa position, retranché derrière son arrogance, il la dominait de toute sa taille et c'est comme si les mots censés protéger Gregorio n'avaient eu aucun impact, l'avait-il seulement entendue? Son regard s'évada tout de même autour d'eux et elle relâcha le souffle qu'elle retenait discrètement, convaincue que le plus gros de la tension était derrière eux. S'ils avaient dû le buter, ils l'auraient fait, s'ils avaient dû le menotter pour l'embarquer, ils n'auraient pas perdu leur temps en inutiles palabres. Elle tenta d'échanger un regard avec Gregorio mais il conservait le sien au sol, et son pied battait le sol à une rapidité inquiétante; la crise d'angoisse menaçait et elle ne savait comment gérer ces deux situations simultanées. Posant ses deux mains sur la table, elle tenta de faire remonter ses yeux à elle pour s'y agripper, pour ne plus les lâcher, mais il les garda irrémédiablement posés sur ses chaussures sales. Chuchotant, elle tenta le tout pour le tout avant que l'attention du flic ne leur revienne.
« Gregorio..? »
Quand il lui asséna ses derniers mots, elle se retint de sourire pour savourer leur victoire. Peut-être n'avait elle pas saisi ce qu'il s'était joué là, peut-être même elle ne le comprendrait jamais, mais elle savait, elle sentait que s'il avouait en s'excusant, tout serait oublié; il n'avait qu'à évoquer une énième crise de manque, et de profonds regrets, pour qu'ils partent. C'était rassurant de savoir que rien ne lui arriverait, qu'il ne descendrait pas une strate de plus dans les bas-fonds qu'étaient devenue sa vie à présent qu'il avait replongé dans la drogue, qu'elle soupira de soulagement, discrètement. Elle se permit de détailler un peu le visage de Llywelyn, elle qui l'avait vu dans un rôle bien plus souriant, enjôleur, elle était surprise par la rudesse de ses traits ; étaient ils nombreux, ses collègues ayant vu un autre lui que celui qui se présentait face à elle? Ceux qui avaient pu apercevoir un sourire, entendre un rire, s'attirer un regard doux?
Parce qu'elle avait manqué un brin de la discussion, le reste lui sembla très brouillon. Une agitation, subite, et Gregorio qui se leva d'un bond: son visage n'avait plus rien du jeune homme qu'elle avait vu arriver au centre social un an plus tôt, il était angoissé, blême et crispé, il avait envie de hurler et finalement, il passa à l'acte. Rejetant la chaise sur laquelle il était assis, il envoya valser la table en bois qui se retourna dans un vacarme sourd pour finalement partir en courant dans ce qui faisait office de salon, claquant la porte violemment derrière lui et elle leva les mains, l'appelant.
Tout s'était passé en quelques secondes et, sidérée, elle regarda les hommes se mettre en action.
get as rude as possible and don't let anyone tell you how to live.
just three days ago, i helped a young girl to calm the onset of an anxiety attack. she seemed to be suffocating in this world that was too big for her, and i helped her. How is this boy different ? he too is trapped in a world that is too big, too intense, too difficult to prevent him from surviving without drugs, without stealing, because it's hard to live honestly.
L’atmosphère est lourde, trop pressante pour quelque chose avec aussi peu d’envergure. Aucune vie en jeu, pas même un problème lié à l’un des gangs – du moins, un souci avorté. Il veut juste un aveu. Cruauté perfide d’un être pas si supérieur ; aurait-il été comme Gregorio dans d’autres circonstances ? Aidé par une femme comme Sofélia ? Il a été aidé, pourtant. Une pédopsychiatre qui les a suivis pendant des mois, lui et sa sœur. Sinéad n’a plus parlé pendant des années et lui, il a commencé à se battre, à se rebeller, à chercher vengeance – à ne plus jamais se laisser faire. Et en même temps, cette envie de savoir ce que l’autre cache pour s’en prémunir, se protéger, anticiper. Tout contrôler, finalement, dans l’espoir d’échapper à l’inévitable. Jamais, jamais Llywelyn ne se lance à corps perdu dans une affaire sans chercher à apprendre le maximum en amont. Il n’est là que pour couvrir les arrières de ses hommes même si c’est finalement lui qui l’ouvre ; langue cynique et verbe tranchant, culpabilité au fond du cœur d’une cruauté qui lui appartient bel et bien. La honte, aussi, quand il y repensera et puis il fera ce que tout programmeur fait pour détruire une base de donner. Le mot DELETE en majuscule pour ne laisser aucune trace du passé.
Et puis la situation semble déraper ; pas suffisamment pour inquiéter les flics et pourtant, les voix qui s’élèvent, le mobilier qui se retourne, une porte qui claque, toutes ces choses insignifiantes l’ont fait se figer sur place. « Chief ? Chief ! Llywelyn ! »
“Search everywhere, I want both kids, is that clear? If they see us, they can report us and I don't want two little shits getting in my way, not now that the old man's dead.” Glasses are broken, chairs are thrown away. His sister's hand over his mouth, wet with the tears of the younger one, who is crying in silence. Her voice in his ear, that breath that makes him nauseous. “Llyw, Llywelyn, listen to my voice, okay ? Listen only to me” Another shot rang out above them. It must have been his sister's room. Or his own. Then silence. More voices. And the front door slams shut.
C’est ridicule, comment il en est arrivé là ? À respirer plus fort, à s’être inconsciemment rapproché de la table, l’agripper comme si sa vie en dépendait ? Il était en train de parler, et puis… et puis il a perdu le contrôle, mais dans l’autre sens. Il y a un mot pour ça. Overreact. Il réagit de manière excessive dans ces moments où tout lui échappe et le disque se raye, se bloque ou joue le même refrain encore et encore. La rage et la peur de l’impuissance se livrent un duel au creux de l’estomac du gosse du sidh. Les mêmes images reviennent toujours. Leur maison ressemble à un taudis, le corps du pater gisant au sol ; l’envie de hurler et en même temps, tout reste coincé. Tout ça à cause d’une porte qui claque, un bruit trop fort qui le ramène précisément à ce moment. Les trois autres hommes se regardent, se demandent ce qu’ils doivent faire ; n’ont certainement jamais vu leur supérieur dans cet état, immobile, tremblant, cherchant son souffle, cherchant à respirer. L’un d’eux s’approche, ose poser la main sur son épaule ; un geste qui se veut rassurant, présent et qui ne trouve qu’un profond rejet. « Don’t touch me. Don't fuckin' touch me ! » Les rôles se sont brutalement inversés, en un temps record. L’arrogance a disparu, le masque froid aussi. Il n’y a plus que cet air hagard et quelque part au fin fond de sa conscience, un remerciement silencieux qu’aucun des hommes ici présent n’ait craqué à utiliser son arme de service pour tirer sur le fuyard.
Et personne ne comprend, comme personne ne comprenait à l’époque pourquoi ce gamin faisait une crise d’angoisse dès que le son commençait à s’emballer. Les cris le gênaient, pas l’agitation. Un copain qui claquait une porte trop fort ou sa sœur qui s’avançait sans faire de bruit et le surprenait en surgissant derrière lui. La sensation d’étouffer dans ce placard étroit, plaqué contre sa sœur et forcé de rester là pendant des heures en priant n’importe qui, n’importe quoi, que les assassins ne les trouvent pas. « We've got the computer, let's get out of here », l’un des collègues prend le lead. Celui qui a perdu l’ordinateur semble vouloir s’excuser, c’est la faute de sa négligence ; se contente de suivre les autres. Llywelyn ferme les yeux, les doigts crispés sur la table.
fuck. Il oublie qu'il n'est qu'un homme à la même hauteur que tous les autres et qu'il n'est pas à l'abri de quoi que ce soit.
"l'océan qui emporte,
l'océan qui déborde,
à l'intérieur"
saisons : [trente] pétales effondrés au sol, perdus à jamais, l'absence totale d'intérêt, mais jamais ne revinrent les jours de la plus précieuse insouciance, ceux dont on sait qu'ils continueront de passer par milliers.
myocarde : piétiné par les jolis mots et les douces paroles, lavé par cet espoir que tout change, et cet espoir rongé pour toujours, comme un vieil os offert à un chien. se complaît à remplir son lit, pour oublier le [vide] de sa poitrine.
besogne : vie dévouée à l'Autre, pour toujours, [assistante sociale] offerte corps et âme.
district : parce qu'elle crevait de son hypocrisie, déménagement dans le [south district] pour être plus proche des siens.
who do you think you are? collecting people like they're nothing, collecting bodies like you're a god
r u t h l e s s n e s s
Elle avait manqué d'un univers de jugeotte, persuadée que les choses pourraient bien se passer avec un junkie qui manquait de sa dose et elle se demanda brièvement combien de fois cela se produirait encore. Combien de désillusion encore, combien de fois où elle attendrait avec assurance, sans croire que le pire était à venir. Il lui faudrait des semaines pour convaincre Gregorio de se présenter à elle à nouveau, des jours pour qu'il lui fasse confiance, si elle le retrouvait seulement, si elle parvenait à lui faire comprendre qu'il n'avait rien à craindre. Et avec le claquement de la porte, elle leva les mains à hauteur de sa tête, pour n'avoir rien à craindre de la réaction de ces hommes trop lourdement armés. Elle n'avait rien à se reprocher mais craignait la balle perdue, celle dont on entendait trop souvent parler aux actualités. C'était à se marrer de savoir que les plus dangereux dans cette maison étaient les représentants des forces de l'ordre.
Mais personne ne la regardait, personne ne semblait même se souvenir qu'elle était là tant ils étaient tous tournés vers leur chef qui s'était figé. Les mâchoires serrées, le visage blême et les sourcils froncés. N'eurent été que ses mains crispées sur la table, elle aurait pu penser à la surprise de la fuite de celui qu'ils étaient venus interpelés mais il y avait autre chose et pendant un instant, après qu'on eut appelé son prénom, il y eut un silence gênant, du genre de ceux teintés d'incompréhension. Elle observa un collègue lui toucher l'épaule et sa réponse, hagarde, comme s'il n'était plus déjà là, comme s'il n'y avait plus personne. what the fuck ? Elle garda le silence, encore, tentant de ne pas s'attirer les foudres de qui voudrait peut-être l'embarquer elle pour venir témoigner contre Gregorio. Elle avait surtout lu quelque chose dans ses yeux, le même air qu'elle voyait se peindre sur le visage de ces femmes qu'elle allait visiter après le chaos, quand elles portaient encore les coups et qu'elles posaient les yeux sur le collègue l'accompagnant - et l'homme présent qui réveillait le traumatisme.
Le silence s'éternisa un peu trop alors que les autres hommes s'organisaient et que, tour à tour, ils sortirent de la pièce. Elle s'avança d'un pas, hésitant, et de sorte à se trouver sur son côté, suffisamment loin pour ne pas déranger ce qui semblait être une réflexion - les yeux fermés, il semblait l'avoir oubliée. Combien de nuits passées à écouter des échanges de tirs dans la rue, à ne plus parvenir à entendre autre chose que cela? Combien de fois à esquiver un endroit parce qu'on y avait trouvé le corps d'une prostituée étranglée, et ok, cela datait de six mois auparavant, mais est-ce que le temps rendait l'horreur plus supportable ? Elle lui dit à voix basse, pour ne pas le surprendre plus encore.
« It's ok. You're safe, and no one's gonna hurt you. You're safe. »
Elle ne savait même pas ce qu'elle disait, ignorait tout de ce qui battait sous son crâne, mais elle lui chuchotait ce qu'elle se répétait elle-même parfois, quand les claquements des armes automatiques rompaient le calme des nuits de Phoenix, quand elle se pensait suivie dans la rue ou qu'elle avait peur, simplement, de tomber sur quelque chose d'horrible en allant visiter ses patients. You're safe.
get as rude as possible and don't let anyone tell you how to live.
You’re safe. You’re safe, Llywelyn, I promise. Listen to me, okay ? I’m with you.
Grande sœur et la voix de Vargas se mêlent dans ce qui semble être la réminiscence d’un instant passé dépassé par le temps et les années sans effet sur les conséquences qui le perturbent encore aujourd’hui. You’re safe. C’est vrai. Et l’ironie de la situation ne lui échappe pas ; l’orgueilleux devient l’angoissé, un juste retour des choses, une remise brutale à sa place qui est la sienne. Pas au-dessus de qui que ce soit, juste se rappeler que jouer au plus fort n’est pas non plus sans conséquence moindre. Il se concentre sur les battements de son cœur, one, two, three, four, five, six, seven, height, nine, ten. Il bloque. One, two, three, four, five, six, seven, height, nine, ten. Expiration. You’re safe and no one’s gonna hurt you.
Cette présence à côté de lui, c’est un rappel à la réalité, un moyen de l’ancrer dans le moment présent là où sa raison s’envole, toute voile dehors ; c’est un regard étrange qu’il pose sur elle. À mi-chemin entre la reconnaissance et une attitude encore trop fermée, encore plus que lorsqu’il a mis les pieds dans cet appartement comme un conquérant prêt à envahir un territoire. C’est bien fait pour toi, lui susurre cette petite voix pleine de sarcasme. Sa conscience se moque de lui là où le cœur furibond pulse encore contre sa poitrine. Il devrait s’excuser, le sent et tout son être lui ordonne de ne pas faire l’enfoiré moyen qui oublie que tout ça, c’est la faute de l’un de ses gars ; qu’il aurait très bien pu ne jamais intervenir et les laisser se débrouiller mais en même temps, comment aurait-il pu ? Il veut bien endosser le mauvais rôle, celui que l’on va détester, parce qu’il en faut un et parce qu’il ne s’attache pas facilement, qu’il fait abstraction de ses sentiments de sa vie professionnel. Qu’il fait ce qui lui semble juste.
Mais il n’y a eu aucune justice présentement. Ses principes aussi, ont navigué en eaux troubles. Peut-être qu’il aurait réagit différemment s’il n’y avait pas eu ce foutu ordinateur. La peur que ça tombe entre de mauvaises mains, la panique de ne pas pouvoir tout effacer à distance à temps. Ceci dit, ça reste inexcusable, même si finalement, sa ligne de conduite reste la même. À chaque maux son remède, aussi insipide et dégueulasse soit-il.
Sofélia aura vu trois facettes en l’espace de quelques heures ; l’amant la veille, le flic et le gamin qu’il était autrefois. À voir laquelle est la vraie, même si les trois sont bien réelles et parties intégrantes de lui-même. Soupir long jusqu’à ce qu’il se redresse, sans la condescendance avortée par la tournure de la situation. Le silence est revenu, ou presque. Les chuchotements dans le salon à côté, le regard de Sofélia. C’est trop tard pour reprendre contenance mais voilà la lassitude qui se peint sur ses traits après tout le reste. « If you're going to contradict me, you might as well tell me to "shut up and take your fucking bag", that would have avoided all this bullshit. » La mauvaise foi est teintée d’une certaine sincérité malgré tout. Il aurait préféré que ça se règle plus vite. Be careful on your way home. » De la distance, encore ; le plus possible. Il y a trop de choses qui ne vont pas dans cette partition et il n’est pas question de faire preuve de davantage de sensiblerie ou de jouer au plus charmant. À la place, il tourne simplement les talons pour quitter cet endroit déplaisant et à la fois, ô combien révélatrice d’histoires qui ne demandent qu’à être traitées avec indulgence et humanisme plutôt que de manière rustre.
Mais chacun son métier. Ce sera un souvenir à évoquer.
"l'océan qui emporte,
l'océan qui déborde,
à l'intérieur"
saisons : [trente] pétales effondrés au sol, perdus à jamais, l'absence totale d'intérêt, mais jamais ne revinrent les jours de la plus précieuse insouciance, ceux dont on sait qu'ils continueront de passer par milliers.
myocarde : piétiné par les jolis mots et les douces paroles, lavé par cet espoir que tout change, et cet espoir rongé pour toujours, comme un vieil os offert à un chien. se complaît à remplir son lit, pour oublier le [vide] de sa poitrine.
besogne : vie dévouée à l'Autre, pour toujours, [assistante sociale] offerte corps et âme.
district : parce qu'elle crevait de son hypocrisie, déménagement dans le [south district] pour être plus proche des siens.
who do you think you are? collecting people like they're nothing, collecting bodies like you're a god
r u t h l e s s n e s s
Il lui semble qu'une infinité de temps passe alors que le silence s'installe entre eux, simplement gâché par les voix qui viennent de l'étage, ces âmes apeurées qui se demandent si le tintamarre est bientôt terminé. Et il y a Sofélia qui craint pour Gregorio, mais soudain, qui craint également pour Llywelyn, parce que soudain, il n'est plus ogre écrasant les autres, monstre de froideur et d'arrogance mêlées, soudain, il est géant aux pieds d'argile, il est comme eux, il n'est qu'humain. Et c'est un rappel adéquat, même si elle n'en a pas compris l'origine, même si elle peine encore à savoir ce qu'il s'est passé et s'ils auront des problèmes par la suite, elle ne se rapproche pas, elle continue de lui dire qu'il est en sécurité et espère que cela suffira à faire passer la crise.
Elle sait que si ç'avait été un patient, Letty, ou même sa soeur, quand bien même elles n'avaient plus de contact, elle aurait pris sa main, son bras, ou elle l'aurait serré contre elle, mais là, elle restait figée, de peur que la violence ne revienne, qu'elle en soit victime, à présent qu'il n'y avait plus personne pour être témoin. Mais il tourna vers elle un regard étonnant, et elle ne parvint pas à lire ce qu'il contenait. C'était comme de la honte, une lassitude, une fatigue infinie, et ça lui fendit le coeur, soudain, alors qu'elle ne ressentait plus rien d'autre que de la compassion, et qu'il s'échina à la gommer dès sa première phrase crachée à sa gueule. Fronçant les sourcils, elle ne comprenait pas mais soit, s'il tenait à la jouer comme cela, elle ne voulait pas gâcher son petit plaisir d'homme viril. Soupirant, elle répondit
« Yes, cause you would have enjoyed it if I said that, sure. »
L'idée d'avoir les bracelets de passés au poignet ne l'intéressait pas mais elle n'en rajouta pas; elle n'avait que faire de sa mauvaise humeur ou pire, de sa mauvaise foi. Elle avait d'autres patients à voir, et il avait refusé sa main tendue; elle n'avait plus rien à faire ici, et elle allait devoir commencer à chercher Gregorio. Contrastant avec ses premiers mots, il lui en adressa d'autres, bien plus sympathiques mais elle décida de les ignorer. Récupérant sa veste, elle quitta la maison délabrée derrière lui et tourna l'angle de la rue, le sentiment doux amer en bouche d'avoir essuyé les plâtres d'une mauvaise humeur dont elle n'avait pas été responsable.